Julia, selon vous, quelles actions mener pour réduire l’impact de l’industrie textile ?
Julia Faure : Produire mieux et acheter moins ! La seule vraie solution, c’est la sobriété. Côté consommateurs, il faut évidemment essayer d’acheter local. Côté marques, il faut produire dans des pays où le salaire minimum permet de vivre décemment et arrêter d’inciter les gens à consommer. Chez Loom, la marque éthique que j’ai lancée, nous ne faisons pas de soldes, pas de promotions, pas de pub. Et ça fonctionne depuis déjà 5 ans.
Avec l’inflation et la diminution du pouvoir d’achat, les soldes ne sont-elles pas une alternative pour les foyers en difficulté ?
Julia Faure : C’est une illusion de croire que le low cost est une solution à la pauvreté. Au contraire il la crée, car pour obtenir ces produits à bas coût, on délocalise notre industrie, on perd des emplois en France, des impôts, de la richesse… Le textile participe à hauteur de 12 milliards d’euros par an à notre déficit commercial ! Le low cost n’est pas une réponse à la pauvreté, sinon cela fait longtemps qu’il n’y aurait plus de précarité en France. C’est un secteur qui crée et se développe sur la paupérisation d’une société. Par ailleurs, il n’y a pas que les acheteurs les plus modestes qui profitent des bas prix, tout le monde cherche à acheter pas cher : 7 vêtements sur 10 vendus en France sont du low cost.
L’impact environnemental de l’industrie textile est souvent pointée du doigt. Quelles solutions faudrait-il mettre en place pour inverser la tendance ?
Julia Faure : Le problème n° 1 de l’industrie textile, c’est la quantité. Il faut produire moins et mieux. L’impact social et environnemental est également réduit selon la zone de production. En France, la réglementation en matière de teintures chimiques n’est pas la même qu’au Pakistan par exemple.
Il faut donc produire dans un des pays où le cadre réglementaire oblige à respecter des normes environnementales et sociales strictes. L’effondrement du Rana Plaza au Bangladesh, qui avait causé la mort de 1 100 ouvriers travaillant pour des marques occidentales en 2013, aurait pu être un électrochoc pour les entreprises. En 2023, soit dix ans plus tard, les salaires n’ont toujours pas changé dans ce pays.
Le seconde main, la réparation ou encore le réemploi sont-ils des alternatives suffisantes ?
Julia Faure : Sur le papier, le seconde main c’est super, mais dans la pratique, son développement ne s’est pas accompagné d’une réduction de la consommation du neuf. Il faut réduire l’afflux de neuf low-cost si on veut développer une vraie économie circulaire, comme la seconde main ou encore la réparation. Aujourd’hui, si les prix de la réparation sont supérieurs à un tiers du prix du neuf, les gens préfèrent racheter un article neuf. Les enseignes low cost proposant des prix très bas, cela impacte le secteur de la réparation et les emplois qui vont avec.
La concurrence du low cost pose un problème partout. Le plus gros vendeur de vêtements low cost en France, c’est Kiabi, suivi de Leclerc, Carrefour, mais aussi Auchan, Intersport, Décathlon et H&M. On parle beaucoup de Shein qui est un des derniers arrivés et qui pousse ce modèle à son paroxysme, mais les ventes en ligne ne représentent que 15 % des achats de vêtements. Il faut également encadrer les pratiques commerciales, car l’autre levier d’achat, en dehors du bas prix, c’est l’envie. Il faut se pencher sur le renouvellement permanent des collections, les largeurs de gamme démentielle, l’usage intensif des promotions, les paiements en « trois fois sans frais », toutes ces incitations à consommer…
Pour en finir avec la fast fashion, vous recommandez une législation ferme. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Julia Faure : Avec le Mouvement Impact France, nous plaidons pour une fiscalité modulée en fonction de l’impact de l’entreprise. L’argent public doit orienter ce que notre économie produit. Ce principe d’éco-socio-conditionnalité est primordial. Si l’industrie textile fait ce qu’elle veut aujourd’hui, c’est parce que personne ne l’en empêche. Or, en mettant en place un système de bonus/malus, on pourrait rééquilibrer le rapport de forces entre la fast fashion et les marques éthiques.
Un dernier conseil pour les consommateurs ?
Julia Faure : Consommer responsable, c’est consommer moins et mieux. Dans cette équation, on ne pourra pas consommer mieux si on ne commence pas par consommer moins. C’est la vraie urgence.
Mon conseil si vous avez un article à acheter ? Regardez en priorité son lieu de fabrication. S’il n’est pas produit dans un pays où vous vous verriez déménager avec votre famille, alors fuyez.
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Cette interview est tirée du magazine de l’ADEME.